Les Onze Mille Verges son l’un des grands romans politiques du vintgtième siècle. Dans ce “Gil Blas” moderne, peregrinations du prince Vibescu et de son valet Cornaboeux de Paris à Prt-Arthur, son exposés fort en detail quelques questions essentielles, la faiblesse de l’empire russe, la supériorité du Japon, le désordre français, la duplicité del’a^me allemande et le fanatisme meurtrier des Serbes. A Bucarest, le prince assiste à une messe noire. Les conjurés du “comité antynastique de Serbie”, “saisissant des tibias, jurèrent la mort d’Alexandre Obrenovitch et de sa femme Draga Machine”. Quelque temps plus tard, “le roi de Serbie et sa femme furent assassiné à Belgrade. Leur meurtre appartient à l’histoire et il a été déjà diversement jugé. La guerre entre le Japon et la Russie éclata ensuite” il faudra des pages pour analyser autant qu’elles le méritent les allusions militaires, diplomatiques et psychologiques du roman. Absurdité? Mystification? Les Onze Mille Vierges – dites vous - ne sont qu’affabulations grivoise, fatras d’obscénité et ddélires bouffons. Oui. Justement. C’est aussi un livre pornographique et la grandeur et justesse du livre tiennent à ce mixte. Qu’est-ce qui s’accorderait mieux à l’obscenité des plaisirs, hétérosexuels, bisexuels, aux exercises de bestialità, de nécrophilie, de sadisme, de masochisme et exhibitionnisme qui scandent l’ouvrage que l’obscenité de la politique et des affaire set la description des passions furieuses qui font l’histoire humaine? Apollinaire est sur le motif – comme les peintres qu’il soutient. Il est me^me dans le motif. Il le pénètre, il veut à toute force savoir ce qu’il ya à l’intérieur, dans les te^tes et les ventres. Il n’hésite devant aucune experience. Il pousse au plus loin l’abnégation du savant, allant jusqu’à plonger dans les abi^mes les plus ténébreux de la fureur et de la haine. Son héros, Vibescu, meurt cha^tié pour avoir poussé un peu trop loin ses essais d’analyste. Il est puni pour avoir poussé un peu trop loin une dissection in vivo. Allégorie du romancier, naturellement. Que ces aventures innomables aient pour théa^tre l’Europe et l’Asie, la graçonnière d’un sénateur, des chancelleries, l’Orient-Express, des champs de bataille et le carnaval de Nice, rien de plus logique. Au délire de l’histoire, les personages ajoutent le délire des sens, qui est la matrice de l’autre. Les Onze Mille Verges parurent à l’hiver de 1906, les Trois Essais sur la théorie de la sexualité de Freud et le “Portrait-charge d’Apollinaire en pape” de Picasso en 1905. le roman libertin a, sur tout autre, une supériorité assurée, qui tient à sa profondeur: il ne lui suffit pas d’énumérer les sympto^mes, il lui faut creuser jusqu’à la racine noire. Les esprits rapides le tiennent pour un divertissement plaisant et une invitation à la licence contre le moralisme. Apollinaire en jugeait tout autrement, dans un vocabulaire précis. Dans Les Diables Amoureaux, collection de notices consacrées aux écrivains dits jadis du “second rayon”, il célèbre Crébillon fils, “qui mérite d’e^tre appelé le Pétrone français” et le declare admirable pour “son ésprit et cette connaissance veritable qu’il avait des a^mes”. Le libertinage? L’un des nomes de la philosophie. Apollinaire surnomme Sade le “marquis systématique”, note que “Nitetzsche n’a pas dédaigné de l’assimiler” et décrit les Cent Vingt Journées de Sodome comme la “classification rigoureusement scientifique de toutes les passions dans leurs rapports avec l’instinct sexuel”. Il rapporte encore que Restif de la Bretonne traita le marquis d’”infa^me” disséqueur à vif”. Apollinaire ne cesse de vouloir savoir et comprendre. Quand il n’écrit ni poémes ni romans, il fait oeuvre de chroniquer dans les quotidiens et les menusels. Les échos, critiques, anedoctes, portraits, observations varies et notes bibliographiques qu’il a rédigés de 1901 à sa mort constituent, avec le romans dit érotiques, le volume qui parai^t. Dans une prodigieuse diversité, tout s’y croise et se télescope, la découverte des poèmes tongouses, les “Futuristes”, les récits du front, l’”historique des relations entre la Russie et le Japon”, l’apologie de Baudelaire, la gréve des chemins de fer en Amérique et la question dynastique en Albanie. Il se risque dans le capharnaum sidérant des connaissances et méconnaissances que les journaux diffusent. Il s’y égare quelquefois, prisonner du chaos des nouvelles planétaires, drames lointaines, histoire, géographie, folies de toutes parts. Regarder, mesurer, scuter, c’est l’obsession de l’écrivain, et c’est aussi celle de Picasso, son alter ego, son semblance (voir le “Portriat-charge d’Apollinaire en pape”, 1905, de l’artiste espagnol).
Casalino Pierluigi, 30.05.2011.